13. Mai 2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 27

'Révolution' d’en haut?


Pour Emmanuel Macron, l’élection à la présidence n’est qu’une première victoire d’étape sur une longue route. Il aspire à une 'révolution' - c’est aussi le titre du livre qu’il a publié dans l’optique de sa campagne élec­torale, et que nous avons cité la semaine passée. Macron veut engager «une refondation politique, une profonde recomposition» de la politique française.

Sa première victoire d’étape signifie-t-elle pour autant que sa 'révolution' est déjà en cours, son élection est-elle un premier élément du change­ment révolutionnaire? L’ancien premier ministre italien Enrico Letta, rec­teur depuis un an et demi de la célèbre Ecole de Sciences Po à Paris, a répondu par l’affirmative à cette question mercredi dernier dans Le Mon­de, en se référant à la forme de la révolution. Letta: «Cette élection con­sacre aussi la victoire des mouvements sur les partis.» Macron a fondé son mouvement En Marche! il y a un an. Il a réussi à mobiliser et à met­tre en marche plus de 250’000 citoyens et citoyennes dans toute la Fran­ce; ils se sont engagés pour son élection, se considèrent comme por­teurs de sa 'révolution'. Grâce à eux, Macron a éliminé les deux grands partis français, abonnés depuis près de 60 ans au moins à une place au deuxième tour.

Mais qu’en est-il du contenu de la révolution? Peut-on déjà parler là aussi du début d’un changement? Non. Car de ce point de vue, Macron doit ses victoires à deux rejets. Au premier tour, beaucoup l’ont choisi parce qu’il était le candidat aux meilleures chances d’empêcher un deuxième tour entre deux prétendants de droite. Et au deuxième tour, la majorité de ses électeurs voulait empêcher l’élection de la candidate du Front Natio­nal. Pourtant, deux rejets tactiques ne suffisent pas à approuver ni sur­tout à légitimer un projet révolutionnaire.

Sur le plan du contenu, la première victoire d’étape de la révolution reste encore à venir. Le nouveau gouvernement, qui sera nommé la semaine prochaine, n’y parviendra guère. Les deux tours de l’élection de l’As­sem­blée nationale, les 11 et 18 juin, auront davantage de chances d’atteindre ce but. Mais là apparaît une grande faiblesse du mouvement présidentiel, renommé La République en marche (RM). Les parlementaires devraient représenter les citoyens et citoyennes de leur circonscription. Or les fu­turs députés de RM dans l’Assemblée représenteront avant tout leur pré­sident, le haut, pas la base. Sur le terrain en effet, les citoyens n’ont rien eu à dire sur les nominations.

Via internet, 15’000 personnes s’étaient intéressées à une candidature. Une petite commission de recherche a établi une liste de trois noms pour chacune des 577 circonscriptions, selon cinq critères: capacités, équilibre des genres, la moitié ne doivent pas avoir encore exercé de fonction pub­li­que, pluralité et loyauté envers le Contrat avec la Nation du nouveau pré­sident. Celui-ci a aussi eu le dernier mot sur la sélection; pas d’as­sem­blée plénière ou des délégués, aucune participation de la cir­con­scrip­tion concernée.

Si l’on peut vraiment parler de révolution, ce serait une révolution d’en haut, une révolution plus proche de l’ancien régime centralisé et hiérar­chisé que du nouveau qu’elle voudrait édifier. Un effort anti-systeme très systématique pour ainsi dire. Est-ce-que cela peut-il bien tourner?

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Enrico Letta, né en 1966 à Pise, homme politique italien,
membre du Parti Démocrate, premier ministre d’avril 2013
à février 2014, actuellement recteur de l'École des affaires
internationales de Sciences Politiques à Paris.

«
L’élection du président Macron consacre aussi la victoire en politique des mouvements sur les partis. (...) Le monde politique vit un véritable séisme. Le rôle de l’internet et des réseaux sociaux change la politique de l’intérieur. (...) Le niveau d’intensité des phénomènes a changé, ainsi que leur imprévisibilité. (...) L’enthousiasme d’un militant ne se fabrique pas. Il est spontané ou il n’est pas. Les gens sont aujourd’hui habitués à juger une situation ou une politique (...) Les mouvements ont une agilité intrinsèque qui les aide dans cette période floue et complexe. Les partis traditionnels semblent au contraire perdus dans ces dynamiques
qu’ils n’arrivent plus à comprendre et à gérer.
»

Extrait de l’article d’Enrico Letta, La victoire des mouvements
sur les partis
, dans Le Monde du 10 mai 2017.



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